Edmée
Cottier: prise en otage par les rebelles
Originaire des Préalpes vaudoises, Edmée Cottier est née en
1915 dans une famille paysanne de Rougemont. Elle a grandi aux côtés d'une mère
très douce et d'un petit frère de quatre ans son cadet. Son père, lui, avait ce
caractère rude des gens de la montagne: il n'exprimait que peu ses sentiments
et appelait ses vaches du nom des gens qu'il appréciait ou non, c'était
selon... A son image, Edmée était d'une pièce, n'hésitant pas à formuler le
fond de sa pensée. Et elle était solide, tant physiquement que psychiquement.
«Elle supportait tout, mangeait de tout, même s'il y avait, par exemple, des
fourmis dans sa nourriture, illustre l'une des personnes qui a travaillé avec
elle en Afrique. Tout lui coulait de source, elle ne s'en faisait jamais.» Et
Edmée avait aussi le contact facile et chaleureux: «Elle encourageait, donnait
des idées, riait... et faisait preuve d'un grand dévouement: elle aurait tout
donné.»
Elle a suivi le catéchisme dans l'église réformée mais, à 16
ans, n'a pas pu se décider à confirmer son baptême. «Le pasteur de l'époque au
village a bien compris mon indécision et m'a encouragée à lire la Bible sur
deux ans. Jusque-là, je la lisais en 'discutaillant'. Je disais: 'Oui, Dieu, ça
d'accord', et puis: 'Non, là, ça tient pas debout'. Lors d'un séjour que j'ai
fait en Angleterre, dans une église vivante où l'on prêchait la Parole de Dieu,
j'ai eu un déclic: j'ai compris qu'il y avait dans ce livre des choses qui
dépassaient mon intelligence. J'ai alors fait le troc: j'ai mis la Bible
au-dessus de mon intellect. Mais... je ne suis pas devenue bête pour autant!
Après cette décision d'obéir à la Parole de Dieu, de servir le Christ et de lui
donner la première place dans ma vie, je suis rentrée en Suisse en 1935, où
j'ai débuté ma formation d'infirmière à l'école de La Source à Lausanne.»
Jusque-là, elle voulait se marier et avoir six enfants. Saisie par le message
de l'Evangile, Edmée changera ses projets pendant ses études, se dédiera à la
mission et restera célibataire.
Edmée effectue ses premiers pas professionnels d'abord en
Belgique parmi les mineurs du Borinage, partageant avec eux les situations
dramatiques au moment de l'invasion allemande. Trois semaines après l'armistice
qui mettait fin à la Seconde Guerre mondiale, à l’âge de 30 ans, elle a pris le
train de Genève à Lisbonne – une semaine de voyage –, puis un cargo de Lisbonne
à Lobito, en Angola – 66 jours de traversée –, pour venir en aide en tant
qu'infirmière aux différentes ethnies angolaises dans le besoin.
Elle engagera d'abord toute son énergie dans l'hôpital pour
lépreux de Kalukembe, alors en pleine expansion. Après sept ans de labeur, elle
aspire à un renouvellement personnel et imagine un bref séjour en Suisse. Les
échos du réveil chrétien en Afrique de l'Est l'impressionnent et, en 1952, elle
décide de passer par cette région du monde, alors qu'elle est en route pour son
premier congé en Europe. Elle emprunte des taxis-brousse, fait du stop...
De retour en Angola en 1953, elle prend en charge le
dispensaire d'Ebanga. Puis s'impliquera dans la léproserie de Jamba, où elle
travaillera de concert avec Gandhi Marinova, une autre Suissesse, infirmière
missionnaire, qui sera elle aussi prise en otage.
En 1965, Edmée revient au Pays-d'Enhaut pour s'occuper de
ses parents affaiblis par l'âge. «Tout en soignant ses parents, elle a fait
l'infirmière au village», se souvient l’épouse du pasteur du village de
l’époque.
Après le décès de ses deux parents, c'est presque
naturellement qu'elle reprend le chemin de l'Angola, au début de 1970. A
Nondumbo, à l'est du pays, elle s'intègre dans une nouvelle équipe. D'énormes
changements politiques surviennent les années suivantes. La guerre civile, peu
après l'indépendance, déstabilise le pays de fond en comble. En 1975, les
communistes prennent en effet le pouvoir avec António Agostinho Neto Kilamba,
premier président du pays et secrétaire général du Mouvement populaire de
libération de l'Angola (MPLA). L'Union nationale pour l'indépendance totale de
l'Angola (UNITA) entre alors dans l'opposition armée, plongeant le pays dans
l'insécurité et la peur.
Après la libération de Gandhi Marinova, kidnappée par
l'UNITA en décembre 1977 – et qui aura parcouru 3200 kilomètres en 7 mois –,
l'inconcevable arrive: Edmée est à son tour capturée à Nondumbo et emmenée, le
18 janvier 1979. «Une violente fusillade déchira le silence de l'aube. Les
soldats encerclèrent la mission, le dispensaire se vidait de tous ses médicaments,
la librairie de toutes ses bibles. Tandis qu'ils mettaient le feu à ma jeep
devant chez moi, je tentais vainement de parlementer avec le lieutenant qui me
disait: 'Vite, dépêche-toi, prépare tes affaires, tu pars avec nous!'» Moyens
de pression sur l'opinion internationale pour des mouvements qui n'ont pas les
moyens de faire connaître les raisons de leur combat, les prises d'otages sont
l'arme du pauvre, analysera plus tard Edmée. Sur le moment – en ceci plus
favorisée que Gandhi Marinova –, elle peut emporter sa Bible, ses lunettes, son
livre de chants, un parapluie et des couvertures. Une longue marche commence...
et les nuits «mille étoiles» se succèdent! «Le soir, quand on s'installait pour
dormir sous les arbres, si je n'étais pas trop éreintée, on chantait des
cantiques et je priais avec mes ravisseurs.» Edmée, qui parlait umbundu, l'une
des cinq langues bantoues utilisées dans le pays, n'a en effet jamais éprouvé
de haine envers ceux qui se bornaient finalement à exécuter les consignes de
leurs supérieurs. Elle a appris à être reconnaissante pour les petites choses.
«Pour moi, sur ces pistes désertes de la brousse, quand au bivouac du soir
autour du feu, un soldat voyant que je n'arrivais pas à avaler ma ration de
bouillie, m'offrait un bout de sa patate douce – alors qu'il n'en avait
lui-même que trois ou quatre pour la journée... qu'il me la mettait à rôtir et
me la tendait en m'encourageant: 'Goûte voir, Tante...', j'apprenais la valeur
des gestes simples... et rendais grâce à Dieu.»
Suite à une marche nocturne, elle rencontre le général
Savimbi. Elle s'entretient deux heures avec cet homme, qui se montre
courtois... et qui lui confie une lettre pour ses «parents suisses», un
évangéliste dont la famille l'avait reçu comme un fils pendant ses études.
Edmée Cottier sera finalement libérée après 3 mois et demi
et 1'600 kilomètres à la frontière namibienne. A son arrivée en Suisse, sur le
tarmac de l'aéroport de Genève, un comité d'accueil l'attend en entonnant le
cantique «A toi la gloire, O Ressuscité! A toi la victoire, pour l'éternité...»
Edmée avait perdu 18 kilos, n'avait presque plus de cheveux,
était rongée par la vermine... Une fois rétablie, elle se rend partout où on
l'invite. Elle aime parler... Ce don naturel, sa gaieté, sa franchise et son
expérience particulière d'otage lui ouvrent des portes pour parler de sa foi.
«C'est comme si le Seigneur avait mis cette expérience dans une bulle
translucide. Je la vois, je me revois en captivité, mais cette expérience ne me
fait plus souffrir, elle n'a plus d'impact sur moi.» De conférence en
conférence, elle participe au ministère de La Barque, une œuvre d'écoute et de
prière à Lausanne, et s'y engage avec joie pendant neuf ans, témoignant là
aussi de l'amour de Dieu. Elle fait à chaque fois mouche auprès des jeunes,
toujours nombreux à écouter cette vieille dame au verbe convaincant: «C'était
quelqu'un!»
Atteinte dans sa santé par une
sclérose latérale amyotrophique qui l'empêchera finalement de parler, Edmée
Cottier est décédée le 8 mars 1997. Sur sa tombe, les trois premiers verbes de
l'épître de Jude ont été gravés, comme pour résumer sa vie: «Appelée, aimée,
gardée.»
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