Frère Laurent de la résurrection: le cuisinier
mystique
Laurent de la Résurrection, de son
nom de naissance Nicolas Herman,
est connu par un petit recueil de lettres et d'entretiens dans lesquels il
raconte ses expériences spirituelles, tout entières centrées sur la pratique de
la présence de Dieu.
Nicolas Herman est né vers 1614 près de Lunéville, en
France, dans une famille profondément chrétienne.
A 18 ans, Dieu lui avait fait une grâce singulière. Un
jour d’hiver, voyant un arbre dépouillé de ses feuilles et songeant que
celles-ci allaient réapparaître, ainsi que des fleurs et des fruits, il comprit
que ce n’était pas le fait de l’arbre seul; la création lui révélait le Créateur
et à partir de ce jour, Dieu fut pour lui une Réalité vivante.
Cette même année, la Lorraine était occupée par la
France, et le duc Charles IV, expulsé de son pays, fit enrôler des troupes pour
reconquérir ses Etats. Nicolas s’engagea dans l’armée du duc de Lorraine. Dans
cette guerre de Trente Ans, tristement célèbre pour ses cruautés inhumaines,
les armées ne reculaient pas devant les pillages et tous les genres de
violence. Deux fois il se trouva face à la mort; finalement une blessure
l’obligea à quitter le métier des armes à 21 ans.
Le temps de la guérison pour son corps le fut aussi pour
son âme; et l’expérience vécue à 18 ans revint à la surface. Il résolut alors
de se donner à Dieu et de changer sa conduite passée. Il s’adonna quelques
temps à la vie d’ermite en compagnie d’un gentilhomme. Mais, déconcerté de se
voir passer de la joie à la tristesse, de la paix au trouble, de la ferveur à
l’absence de dévotion, il ne persista pas. Il vint alors sur Paris où il
s’engagea comme laquais chez Mr de Fieubet, où il dit avoir été «un gros
lourdaud qui cassait tout».
C’est là que le Couvent des Carmes de la rue
Vaugirard (l’actuel Institut Catholique) commença à l’attirer; de plus, l’un de
ses oncles était aussi carme. Nicolas se décida à 26 ans à demander son entrée
à son tour en qualité de frère laïque (non prêtre), et il prit alors le nom de
Frère Laurent de la Résurrection.
Il fut d’abord cuisinier pendant 15
ans, puis cordonnier de son couvent; les dix premières années de sa
vie religieuse sont un temps de dures épreuves pour Laurent. Il se rappelle les
péchés de sa jeunesse. Il se demande même s’il n’est pas damné. Mais à l’apogée
de sa souffrance, il pose un acte qui le lance définitivement sur la voie de
l’amour. Il décide de se donner, de s’abandonner inconditionnellement à Dieu.
Le résultat ne se fait pas attendre: «Je me trouvai tout d’un coup changé. Et
mon âme, qui jusqu’alors était toujours en trouble, se sentit dans une profonde
paix intérieure, comme si elle était en son centre et en un lieu de repos.»
A travers cette expérience très profonde, notre frère
cuisinier découvre le secret de la contemplation. Il ne s’agit pas de quitter
son travail, son devoir d’état, pour rejoindre Dieu. Non, explique-t-il, «notre
sanctification dépend, non du changement de nos œuvres, mais de faire pour Dieu
ce que nous faisons ordinairement pour nous-mêmes.» Et il continue: «Je
retourne ma petite omelette pour l’amour de Dieu…». Il va petit à petit trouver son propre chemin spirituel: vivre travail comme
temps de prières, peines comme joies dans la «présence de Dieu»; transformer
toutes ses occupations en «une manière de petits entretiens avec Dieu, sans
étude, comme ils viennent… Il n’y faut point de finesse, il n’y a qu’à y aller
bonnement et simplement». La seule «méthode» de vie spirituelle de Frère
Laurent fut en quelque sorte l’exercice de la présence de Dieu qui consiste à
«se plaire et s’accoutumer en sa divine compagnie, s’entretenant amoureusement
avec lui en tout temps».
Nous sommes là au cœur de la découverte de Laurent. «Je
m’appliquais soigneusement le reste du jour, et même pendant mon travail, à la
présence de Dieu, que le considérais toujours auprès de moi, souvent même dans
le fond de mon cœur.» Au début cela n’allait pas de soi, confesse Laurent.
Quelquefois il oubliait même Dieu pendant longtemps. Laurent n’a pas appris
sans peine à vivre dans la Présence de Dieu, mais avec «beaucoup de lâchetés et
d’imperfections». A ceux qui veulent suivre son chemin, il conseille de ne pas
s’étonner si au début on a l’impression de temps perdu et même de la
répugnance. Mais à force de vouloir vivre sous le regard de Dieu, à travers un
véritable exercice, une attention répétée et entretenue du cœur, la conscience
de la présence de Dieu est devenue chez lui comme naturelle.
Laurent nous apprend que des actes séparés, épisodiques
peuvent par leur multiplication devenir une «habitude». Ce mot entraîne une
image: celle de l’habitude qui nous sied comme un habit, où nous habitons comme
dans une habitation… Quelle joie quand on habite vraiment en Dieu et Dieu en
nous! Laurent le confirme à maintes reprisses: «L’habitude ne se forme qu’avec
peine; mais lorsqu’elle sera formée, tout se fera avec plaisir…» Ou encore:
«Cette présence de Dieu, un peu pénible dans les commencements, pratiquée avec
fidélité, opère secrètement des effets merveilleux en notre âme». Alors les
choses sont comme inversées. Si notre esprit s’éloigne de la divine présence,
c’est elle qui se présente immédiatement à lui: «Si quelquefois je suis un peu
trop absent de cette divine présence, Dieu se fait sentir aussitôt dans mon
âme…par des mouvements intérieurs si charmants et si délicieux que je suis
confus d’en parler».
Son rayonnement attira de nombreuses personnes à lui
demander conseils: c’est ainsi que lettres ou transcriptions de conseils donnés
oralement nous sont parvenus. Le chemin qu’a découvert frère Laurent de la
Résurrection est un chemin accessible à tous. Dans sa correspondance, on trouve
de nombreux conseils pour nous mettre à sa suite.
Au début de 1691, Frère Laurent tomba
malade. Comme son mal augmentait à vue d’œil, on lui apporta le sacrement des
malades. A un religieux qui lui demandait ce qu’il faisait et à quoi son esprit
était occupé, il répondit: «Je fais ce que je ferai dans toute l’éternité: je
bénis Dieu, je loue Dieu, je l’adore et je l’aime de tout mon cœur; c’est là
tout notre métier, mes frères, d’adorer Dieu et de l’aimer, sans se soucier du
reste». Puis, avec «la paix et la tranquillité de quelqu’un qui dort», Frère
Laurent mourut le 12 février 1691, à 77 ans.
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